Le voyage abîme les livres, il use les sacs, les chaussures, et fait traverser des lieux lugubres, et pourtant... Ce sentiment de liberté dans notre solitude errant parmi des lieux non répertoriés sur la carte de notre histoire personnelle est plus fort.
L'expérience de l'ailleurs, de son mystère, l'expérience de l'Autre et l'aventure vibrante que nous offre le monde appelle au-dehors.
Au moment où l'avion, tous moteurs ronflants et toute carcasse bringuebalante s'élance vers l'avant et poursuit sa course vers le ciel, l'on s'écrie pourtant parfois intérieurement "Quelle folie que celle des Hommes !".
Saurons-nous un jour dire "non" à cette folie ? Transpercer les nuages de part et d'autre du globe, déverser des pluies de pétrole sur toute la surface de la Terre, défier le Temps et la course du soleil, gagner les astres, poser le pied là où il n'y a pas d'oxygène...
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L'expérience du mystère de la vie vaut tout cela, et pourtant...
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Pourrons-nous un jour demeurer en un lieu où le simple changement des heures et des saisons donnera du sens à l'expérience de nos vies ? Saurons-nous limiter cette expérience aux bois et forêts que nous pouvons gagner à pieds ? En tous cas par la seule énergie de nos muscles et de notre souffle ? Certains ont déjà dit oui.
Il m'arrive de désirer plus ardemment que tout le contact de la terre. Et il n'est pas d'autre raison qui m'aurait poussée à choisir la voie de la musique : ce désir d'entrer en vibration avec le monde. Il m'arrive de l'oublier. Car je me laisse happer par la folie du monde. Je suis la folie du monde.
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Et parfois, lorsque je me suis un peu trop égarée, il m'arrive de me demander : de quelle magie la musique parle-t-elle encore si elle ne vibre plus avec le monde ? Dans le noir artificiel des salles de concert, au travers des grésillements des enceintes, lorsque le corps ne trouve plus de point de résonance, que faisons-nous alors ?
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Lorsque le geste, sa beauté primaire au noyau du son pur s'est désincarné dans l'intellectualisation de la musique, ou la promotion et l'adoration de l'ego, que reste-t-il ?
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Genève, et quelque part dans le ciel, octobre 2019
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